Coiffeurs
Je ne sais pourquoi, j'ai toujours eu une tendresse particulière pour les coiffeurs.
Aussi loin que je remonte, je ressens un sentiment de bien-être à leur évocation.
Je le consigne ici çuy jour car, justement, j'en sors.
Avant mes douze ans, j'étais "en brosse" et j'y allais peu souvent car mes tauliers jugeaient qu'un coup de tondeuse devant derrière était bien suffisant.
De toute façon, c'était une fausse "brosse", car j'avais des épis partout.
Ça rebiquait à l'arrière et ça plongeait à l'avant.
C'était comme les culottes courtes en velours.
Ça m'a toujours déplu.
Vers la 6ème environ, j'enfreignis les oukazes, et optait, en gros, pour la coiffure que j'ai actuellement et que les croque-morts devront trimballer, vu que j'en perds aucun.
Vous avez une photo, maintenant, grâce à Elisabeth.
La raie à gauche et le reste harmonieusement disposé où il faut.
Sauf qu'en 6ème, je ne me déplaçais qu'en bécane et que j'avais pris l'habitude de me mettre de la Brillantine.
Plus un poil ne bougeait mais je me faisais sermonner par Tante car les draps devenaient huileux.
Mais moi, j'aimais bien l'odeur.
J'ai toujours eu les sens très développés.
Cette coupe m'a suivi jusqu'à Janson de Sailly où me rejoignirent les prémices de la Révolution bourgeoise (elles le sont toutes) de 68.
Pour une raison que j'ignore, je laissais se développer mon système pileux jusqu'à me balader avec une immense frange sur le front et une tignasse de méhari dans le dos.
A Ordre Nouveau, je faisais un peu désordre car la majorité de mes camarades avait adopté la coupe para en réaction aux serpillières gauchistes.
Cela m'a néanmoins été utile car j'ai pu assister ainsi, pendant un an, aux réunions de Cellule du Parti Communiste "Français" auquel je m'étais inscrit par devoir militant.
On n'est jamais mieux renseigné qu'à la source impure.
En plus, j'avais une copine qui m'avait dit qu'elle était membre du Parti mais qu'elle préférait les gars d'O.N.
Où vont se nicher, ma mie, les convictions, hein ?
En 1977, je n'eus pas le choix.
La Patrie me convoquait à Libourne pour servir la République.
Je n'y voyais pas d'inconvénient, m'adaptant à tous les milieux.
Cela me permettrait de voir de près ces ganaches galonnées qui nous avaient foutu dans le mur en 14, en 40, en 62 et qui se préparent pour la défaite suivante.
J'y voyais aussi l'occasion de me perfectionner en artillerie, mes connaissances étant modestes jusque là.
Il fallait dépasser le stade du cocktail Molotov, de la barre de fer et des Manhurin de récup'.
Mon abondante chevelure ne me fut pas un obstacle comme celle de Samson car j'anticipai.
La veille de l'incorporation, je fonçai au hasard chez le barbier et lui intimai l'ordre bref: " A zéro! ".
Devant l'ampleur du travail, je lui expliquai le motif et il se dérida quand je lui promis que ça ferait deux coupes.
Je pus ainsi assister, goguenard, au passage de mes condisciples sous la tondeuse militaire qui s'embarrassait pas des détails.
Certains gaillards chevelus de 28 ans, pleuraient et appelaient maman.
Des mecs de la Ligue Communiste que j'avais reconnu, en particulier.
Ils étaient de Broussais, comme moi, et maintenant débroussaillés.
Revenu à l'état civil, comme on dit, je gardai ma boule à zéro un certain temps, y trouvant une facilité et un gain de temps.
Puis, petit à petit, la tonsure laissa place au renouveau et, tel je suis depuis trente ans.
J'évoquais, au début, le bien-être et la reconnaissance que m'inspirent le passage chez le coiffeur.
La première fois, c'était à Saint-Léonard-de-Noblat où nous étions en vacances avec Maman.
Le grand fauteuil de cuir rouge monté sur un pied de céramique blanc évasé et l'ensemble tournant.
Avant que le figaro ne dispose sa planchette de bois sur les deux accoudoirs du fauteuil, que je puisse me voir dans l'immense glace, je profitais de son absence pour faire faire trois-quatre tours au biniou pour me payer un tour de manège.
Le col de papier crépon autour du cou, la grande blouse mauve sans manche qui me dégoulinait jusqu'aux chevilles et c'était parti.
Le ballet incroyable des ciseaux clic-clic-clac, toujours en mouvement, même quand ils ne coupaient que de l'air, clic-clac-clic, le ronronnement tiède de la tondeuse dans le cou et les " Ça va, mon p'tit gars ?", toujours amicaux.
A la fin, c'était la friction à l'Eau de Cologne.
On te sentait passer dans les rues pendant une semaine.
J'ai toujours privilégié ces coiffeurs " à l'ancienne ".
Même maintenant, j'ai un salon avec un grand fauteuil rouge qui tourne sur sa vasque de céramique, avec des appui-pieds.
J'ai compris pourquoi j'étais si bien chez mes coiffeurs.
Finalement, on fait le même métier.
Je le lui ai dit à Francis, tout à l'heure.
Il a rougi de satisfaction.
C'était pourtant évident dès le début.
Nous apportons du bien-être à nos "clients", de la conversation, du réconfort, l'humanité qu'ils trouvent pas ailleurs.
En plus, on est pas chers !
Post-coiffurum:
Elisabeth m'a appelé hier au cabinet pour me dire qu'elle avait presque honte que j'aille déposer ma prose sur TV-Moisir.
En fait, c'est son ami Sylvain, avec qui elle se marie en septembre qui est désapprobateur.
Communiste ou trotzkyste convaincu ( j'ai jamais su ), tenue baba-cool et musicien techno de vocation, il n'accepte pas que son futur beau-père fasciste aille se commettre avec des "inadaptés sociaux et des bas-de-plafond étroits et sectaires " comme il a pu le constater.
Lui-même, sans rien changer à ses convictions, me gratifie d'un magnifique salut romain complice, chaque fois qu'il me voit.
Sylvain ! Je vous promets de ne plus fricoter avec les égoûts dès que vous serez mariés.
Houré Pobieda ! Houré Trotzky !
Comment ?
Ah oui. Heil, aussi !