Notes

Publié le par VICOMTE DE LINIERES

Pendant presque vingt ans, au retour du cabinet, c'était la question.

Presque médiévale.

Juste après le "bonsoir !" et les bisous.

" As-tu eu des notes ? "

Au cours des saisons et des croissances, l'impertinente allusion se faisait plus concise.

" Tu as eu des notes ?"

" T'as des notes ?"

" Toujours pas de notes ?"

" C'est marre ! Montre-moi tes notes. Schnell ! "

Faut dire que je me suis impliqué dans l'élevage et l'éducation embryonnaire !

Quinze ans, au minimum.

Probablement, vingt.

Ma femme travaillait de nuit pour compenser mon impécuniosité chronique et, également, pour qu'on se retrouve pas avec une portée de douze.

Le diner avalé, le rituel commençait.

Dans notre ancienne demeure, la cuisine était grande.

C'est pourquoi on y vivait tout le temps.

Et puis, à l'époque, le séjour était une sorte d'église romane, où les statues, les tableaux religieux, les porte-missels, saluaient d'en-bas les fresques de Fra Angelico que j'avais reproduit au pastel pendant une dure période de chômage.

En écoutant, en boucle, " Au fur et à mesure, au fur et à mesuuure ", à la folie !

Je ne pouvais voir mes enfants que le soir.

La difficulté est que j'ai peur d'avoir laissé une image de précepteur privé un tantinet tortionnaire, plutôt que celle d'un papa bienveillant.

J'ai des preuves !

Une après-midi, j'avais décidé de rester à la maison, le cabinet m'emmerdant (déjà !) prodigieusement.

Maintenant, c'est pire ! Mais je refuse du monde et on compte sur moi.

Une après-midi, donc, je monte dans la chambre des enfants.

C'était l'excursion alpestre car la baraque était sur quatre ou cinq niveaux et, le sommet offrait une vue tout à fait sympathique.

Des combles aménagées en poutres, rideaux et lambris.

Michel, un beau-frère, quand il venait passer quelques jours, voulait dormir là, car cela lui évoquait immanquablement les inoubliables sports d'hiver que nous passâmes tous ensemble dans un chalet suisse.

Il y avait de la place pour cinq.

Quand Michel venait, on en descendait un ou deux dans les chambres du dessous.

J'arrive donc dans les combles, l'immense espace semble à-peu-près en ordre, à savoir que je risque ma vie à chaque pas, et je découvre, surplombant le lit de Anne ( le lit d'Anne me gêne musicalement !) une affiche, un ex-voto en sorte, où il était inscrit au feutre bleu:

LA LOI EST DURE MAIS C'EST LA LOI.

Ça m'a un peu rappellé "L'île du Docteur Moreau" et j'en suis resté tout penaud, m'imaginant voir débouler mes gosses, mi-tigres, mi-ours et mi-gratteurs.

A peine revenu de ma surprise, je me tourne vers le lit de Jean-Baptiste pour vérifier qu'il soit fait "au carré".

Il l'était.

Ce qui était autour m'étonna davantage.

Des dizaines d'images pieuses piquées dans nos missels et fixées par des punaises, des chapelets, des crucifix.

Ne manquait qu'un gigantesque bénitier d'albâtre comme on en voit dans des chapelles imprévues.

Des gousses d'ail, aussi !

Enfoncé, le Louis XI et ses médailles de chapeau qu'il accrochait dès qu'il se reprochait

une rapine !

J'ai eu à méditer sur l'évolution militaire de mon aînée et religieuse de mon fils.

J'en reparlerai.

Je vous ai déjà dit que je ne sais pas faire dans les longueurs et qu'une simple page équivaut pour moi, à une dialyse.

Je n'ai pas changé de ligne de conduite pour autant.

Pendant des années, pendant que Dizou baguenaudait au milieu des cahiers de solfège à la con, dont seule la première page est utilisée, les carnets de correspondance, les bouquins d'Histoire enfranmaçonnés et perclus de mensonges, les opuscules matheux à faire souffrir le Diable, ma question revenait, lancinante, justiciable, insidieuse: " Vous avez des notes ?".

 

Post-tapum:

Elisabeth ! J'aimerais ma photo préférée en ouverture de mon blog.

Celle où j'ai l'air bon, beau et intelligent !

La toute récente 2010.

Publié dans Souvenirs

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B
<br /> <br /> LA question d'apparence anodine mais qui renvoie à tant de souvenirs...<br /> <br /> <br /> <br />
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