Le premier

Publié le par VICOMTE DE LINIERES

En fait, c'était la première.

Première grossesse, première délivrance, première fille.

Contrairement aux générations bourgeoises actuelles, c'est-à-dire pseudo-prolétariennes, ma femme et moi ne nous posions pas la question de savoir si nous aurions une descendance.

Ou même, si nous pourrions !

Il est à noter que nos jeunes craintifs actuels ont une peur bleue de la stérilité.

C'est pourtant médicalement et eschatologiquement prévisible.

On commence à turlutiner à douze ans, on enfile les déduits et on s'enfile indienne, queue-leu-leu, sous l'oeil bienveillant des publicitaires apatrides et des radioteurs revenus d'émigration sinaïque.

Faut pas s'étonner après, que les trompes de la renommée soient encombrées de chlamydiae, de mycoplasmes et autres locataires de passages effrénés.

Alors ! On importe de la viande haïtienne ou orientale pour " faire des enfants heureux ".

C'est la grosse farce chosifiante de couples en manque de peluche.

Mon expérience personnelle m'a prouvé que les chers bambins vont commencer à becqueter leurs "parents" à l'adolescence et, ensuite, préméditer un petit sacrifice rituel oedipien particulièrement tsoin-tsoin.

Il faut bien recevoir un jour le salaire de son égoïsme transcendant.

L'échographiste avait été formel.

" Ton enfant, il est mal formé ! "

J'ai toujours apprécié la délicatesse carabine pour annoncer les catastrophes.

" Malformé, comment ? Assassin ! "

" On sait pas. Les reins ou les intestins. "

" Bah ! Merde. C'est pas pareil, quand même. "

Il m'a pas proposé l'avortement car il a dû voir dans mes yeux que j'allais procéder moi-même à son équarissage.

Muni de ce diagnostic imprécis mais sombre, je contactais un grand manitou de la néo-natalogie, le Professeur Moriarski à Baudelocque.

Une sommité.

Il confirma la dramaturgie mais son agenda devant être complet et ne pouvant quand même pas me faire payer ses inestimables services, me balança au Professeur Poriette.

Celui-ci fit tout le nécessaire pour nous rassurer, ma femme et moi.

Le jour où la parturiente perdit les eaux, j'étais de garde de nuit.

J'ai dû foncer à Paris avec ma femme allongée sur la banquette arrière qui dégoulinait.

C'étaient pas les circonstances idéales pour une première.

A l'époque, ils avaient pas encore inventé l'ignoble permis à points.

Sinon, à l'heure actuelle, je leur en devrais dans les mille.

J'assistais à l'accouchement.

Glaireux et merveilleux de sanguinolence.

J'étais papa !

C'est une initiation qu'on ne peut comprendre.

Un éblouissement.

J'eus un second éblouissement quand la pédiâââtre vint m'annoncer, sourire aux lèvres:

" Ta fille, elle est mal formée ! "

" Je sais bien, bourrelle ! C'est même pour ça qu'on est là.

Malformée comment ? Moi, je la trouve bien conforme ! "

" On ne sait pas. (Connards blouseux !) Les reins ou le colon. "

Ils l'ont mis sous couveuse, branché des tuyaux dans tous les orifices disponibles.

J'ai dû intervenir pour qu'ils n'en créent pas de nouveaux !

La comédie a bien duré trois semaines où la petite n'était alimentée que par sonde gastrique qui offrait comme récompense que des diarrhées de sang glaireuses.

Plus l'ictère, qui y était pas au début.

Comme la maman est vietnamienne, je me suis dit que c'était par solidarité féminine ou que j'avais pas poussé assez fort.

A la fin, j'ai un peu repris les choses en main.

Car, il faut dire, qu'entre le cabinet, mes allers-retours sur Paris, l'angoisse de ma femme et la quasi-certitude d'une petite concession à acheter rapidos, j'étais dans un état d'épuisement émotionnel criminogène.

Je suis donc aller voir le Professeur Poriette vers 14 heures, lui signifiant que je venais chercher le bébé à 17.

Effaré, le collègue !

" Tu ne peux pas. Elle va mourir si on débranche tout."

" Elle mourra ici aussi, alors ! "

" Impossible ! ", fait-il, sévère.

" Dans ce cas, c'est toi qui va mourir !", rétorquai-je cavalièrement en sortant un reste d'artillerie, souvenirs d'Ordre Nouveau.

Il fut convenu que ma proposition était à retenir, qu'il me fallait signer papelards de décharge et me gratifia d'un "Bonne chance" que je lui fis la grâce de croire sincère.

Rentré chez moi, je contactai un copain radiologue de Taverny, qu'il me découpe la gamine aux rayons.

On ne trouva rien.

J'allai chercher du glucose à l'hôpital de Beaumont, lui montai un goutte-à-goutte et attendis que Dieu décide.

J'avais un peu forcé sur le dosage, car le bébé prit quatre livres en un jour.

Une outre !

Elle se vida exagérément par les deux bouts et tout rentra dans l'ordre.

Elle a maintenant trente ans, est mariée et j'attends de nombreux enfants.

(Ça vient ? Oui ou crotte !).

J'appris, quelques mois après, que des dizaines de nourrissons étaient morts dans le service du Professeur adulé mais qu'on avait étouffé l'affaire.

J'ai fait mon enquête, ai retrouvé une terrifiante maladie nosocomiale à Clostridium difficilae dont on réchappe rarement.

D'où l'intérêt de garder ses souvenirs de militantisme.

Je n'ai pas eu à renouveler ma panoplie pour les quatre rejetons suivants.

La première s'appelle Anne.

 

Post-tapum:

Je signale que ce modeste blog est un endroit privé à l'usage de mes enfants et de mes amis.

Les haineux qui ont le réflexe vomitif sensible peuvent se purger ailleurs.

C'est pas la place qui manque.

Et, comme je disais il y a peu: Vive le Roy !




Publié dans Souvenirs

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A
<br /> <br /> Cher vicomte,<br /> <br /> <br /> A l'approche de Noël, je pensais que vous évoqueriez une autre naissance... En tout cas, le tableau que vous brossez de la mienne est on ne peut plus déchirante de réalisme !<br /> <br /> <br /> Par ailleurs, votre fille chérie a, oh combien, saisi le message d'instigation à la progéniture !... Mais il faut croire que ça ne se fait pas en un clic; certains mettent un peu de<br /> levure et le gateau gonfle mais pour d'autres, ça parait moins évident !<br /> <br /> <br /> Je pense donc qu'il ne faut pas se focaliser sur la situation au risque de tomber dans un tourment trop stérile et envahissant pour les deux partis. "Dieu y pourvoira,comme toujours" se<br /> plaît-on à dire et à penser dans la famille. Et c'est vrai, ce que l'on souhaite peut prendre du temps à venir... mais finit toujours par arriver ! <br /> <br /> <br /> Sur ce, cher vicomte, je vais devoir vous laisser pour mener à bien cette DERNIERE journée de travail avant cette grande fête qui nous attend tous ce soir :-)<br /> <br /> <br /> Je vous souhaite une excellente journée en espérant qu'elle n'est pas trop enneigée cette fois !!<br /> <br /> <br /> Je vous embrasse bien fort et vous dis à très vite !!<br /> <br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> Un très bel hommage rendu à notre aînée.<br /> <br /> <br /> <br />
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