Reclus

Publié le par VICOMTE DE LINIERES

Je m'y attendais.

Ma pelouse, hier recouverte d'un immense manteau royal qui n'attendait que les Lys de France, pour m'avertir comme un Ange de Gomorrhe de l'arrivée du Renouveau immérité, m'avait renseigné sur une réalité bien plus concrète.

Impossible de sortir de chez moi et le portail était d'une complicité loyale, ne laissant passer que mon Barroux à condition qu'il inspire un grand coup.

Je reviens de lui faire faire sa promenade patineuse pendant qu'il m'écoutait distraitement réciter Pater et Credo, Alma Redemptoris Mater et Gloria, criblé de cristaux mouillés et ciselés, descendant en fines rafales au lumignon du seul réverbère du canton.

Ce sera la première fois, je crois, qu'en trente-cinq ans, je ne pourrai assister mes malades.

Des fièvres quartes, un bras sectionné en écharpe, des sciatiques subintrantes et sourcilleuses, de profonds désespoirs encapuchonnés d'un ennui suintant, rien ! Non. Rien ne m'a jamais empêché d'aller exercer mon "sacerdoce", comme disent les aveugles repus.

Mais, les icebergs qui flottent sur le goudron défoncé de mon unique route menant à la civilisation, dissuaderaient même une exploration polaire.

Je vais quand même prévenir, à neuf heures, la pharmacie qui sert de soubassement à mon cabinet.

Sorti de mes habitudes psychorigides, j'ai beaucoup de mal à m'adapter.

L'idéal serait évidemment de reprendre la Tétralogie dans son ensemble ou de ranger quelques vieux papiers familiaux.

J'ai toujours pas fini de classer les milliers de photos que ma mère avait entassées toute sa vie.

La perspective de déterrer des centaines de melons, de barbes et de crinolines, figés dans des poses de rigidité cadavérique, au milieu de calèches, de soutanes et de Tractions, ne m'emballe pas plus que cela.

Cela aurait pourtant été l'occasion de flirter un peu avec ma marraine, la Comtesse de la Faye, magnifique jeune femme libre, de tenue et de regards, et qui a bien fait de disparaître très tôt.

Il est possible que je dépose quelques avis sentencieux sur les pages "commentaires" de TV-Moisir, un journal dédié à la pourriture télévisuelle d'occupation.

A ce sujet, j'ai pu constater non sans effroi, le mental déplaisant et circonspect de plusieurs interlocuteurs atteints de strabisme affectif et intellectuel.

Comme disait Céline à-propos de ses contemporains: "Ils sont lourds."

Je dirais que maintenant ils sont devenus mégatonniques moralistes et inquisiteurs vicieux.

Ils t'encensent quand il n'y a pas lieu et te glaviottent en cherchant des camarades de crache, dès qu'ils ont discerné que tu mettais en péril leurs chères certitudes bien chaudes de pelisse de contrebande.

Sans me prendre pour un prophète, même de ceux que l'on nomme "petits", il va de soi qu'ils m'imputent des vices dont ils sont embarassés et veulent faire profiter de leurs surplus.

Car, s'il y a deux sentiments que je n'ai jamais éprouvé et j'en remercie bien le Bon Dieu, c'est la haine et la jalousie.

En voilà deux gargantuesques termites auto-dévoreuses !

Ces gens se sont épris de leurs liens, les renforcent à la mesure de leur puissance d'égoïsme et de bêtise, et viennent ensuite exiger que tu pratiques un "examen de conscience".

Ce que je fais pourtant quotidiennement pour éviter le pharisaïsme, c'est-à-dire l'ignoble volupté qui faire reluire l'homme satisfait de lui et "qui n'a jamais fait de mal à personne".

Mais! Laissons-là ces handicapés repoussant les fauteuils qui leur permettraient d'avancer.

Bien sûr ! Je pourrais m'adonner à mon vice capital, savoir la lecture, mais ayant entamé trois bouquins à la fois, je ne sais plus par où continuer.

Le sapin, je l'ai fait hier.

Pas pour moi, car je les ai pris en grippe depuis longtemps, ces sapins maquillés comme des putes enrubannées des restes de leurs rideaux de velours rouge.

Mais, les enfants disent: "Pas de Noël sans sapin! ".

Et l'enfant que je reste doit reconnaître qu'ils ont raison.

Me reste la crèche, mais ça prendra pas trois heures.

Le véritable bénéficiaire de ma réclusion poudreuse sera le Barroux qui aura droit à une deuxième promenade.

J'en profiterais possiblement pour égrener mon chapelet car je n'arrive à prier "bien" qu'en marchant.

Il faudra aussi que j'essaie de déblayer les hectolitres de neige qui m'empêchent de faire dix mètres dans le jardin.

C'est le Noël blanc tant convoité des anciens petits chrétiens portés disparus dans le gouffre visqueux de l'adolescence.

A moins que je ne m'épanche à nouveau ici, mais c'est pas certain.

Cela me demande un travail considérable et je m'interroge sur l'utilité de ce pélerinage.

On verra !

Il est neuf heures.

J'appelle mon potard.








Publié dans Souvenirs

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